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Henri Storck en ciné-concert

Hommage au père du documentaire belge

Le grand maître du « cinéma du réel » à travers deux de ses films muets les plus significatifs mis en musique par Stéphane Orlando.

Images d’Ostende (1929) et Misère au Borinage (1933)

Henri Storck fait partie de cette génération de jeunes cinéastes qui ont vécu le douloureux passage du muet au parlant. Images d’Ostende, tourné durant l’hiver 1929-1930 est une œuvre purement visuelle, « proche de la musique ». Misère au Borinage, réalisé avec Joris Ivens en 1933, est à l'origine un film muet rythmé d’intertitres donnant un sens aux images.


« J’ai la nostalgie, je vous l’avoue, des merveilleuses années vingt, lorsque le cinéma était vraiment devenu un langage universel grâce à la musique des images ». 

 

Henri Storck parle aussi de « poésie visuelle » pour qualifier ses premières œuvres comme Images d’Ostende ou Misère au Borinage, le film militant fondateur du cinéma belge, qui provoquera une véritable onde de choc à l’époque et résonne curieusement en nos temps troublés : en 1932, une grande grève avait paralysé les charbonnages de Wallonie et la réponse patronale et policière avait été sans pitié, le tout dans la sous-information et l’indifférence générale.

Trailer

Vidéo de la création du ciné-concert

Ciné-concert composé par Stéphane Orlando
Ensemble Musiques Nouvelles, dir. Jean-Paul Dessy / Stéphane Orlando
Une coproduction Mars - Mons arts de la scène / Musiques Nouvelles / Les Sons des Cinés 
Avec l’aide du Fonds Henri Storck et de la Cinematek
Enregistré à Arsonic en avril 2021
Tout public, 44 min. sans entracte

Disponible au catalogue Art&Vie code artiste 12882-1
info@musiquesnouvelles.com 
Images d'Ostende (1929)

Un des films des origines. Il est organisé en chapitres visuels pour montrer les « aspects intimes de la ville l’hiver » : le port, les ancres, le vent, l’écume, les dunes, la mer du nord, … série d’images qui n’ont rien à voir avec l’anecdote ou l’illustration. Chaque plan est au cœur même de la définition du mot développé, ce qui place ce film dans le domaine de l’expérimentation conceptuelle.

Plan après plan, et le film est très découpé, Storck propose un regard sur un fragment, un aspect qui mettent en place ses éléments constituants et multiples. Ils font appel à leur équivalents cinématographiques, la lumière, le cadre, l’échelle des plans, le mouvement, le rythme. L’eau, le sable, les vagues entrent directement dans un vocabulaire filmique. C’est, auraient dit Germaine Dulac et ses amis, du cinéma pur. Un choc poétique et cinétique, sans fiction ni son qui dégage le cinéma de son obligation narrative pour le rendre au monde des sensations que lui seul peut porter. Un chef-d’œuvre immédiat, fondateur du regard de Storck.

Images d’Ostende est, certes, une des plus belles œuvrettes de la poésie cinématographique pure que nous ait laissé le cinéma muet… La nouvelle forme cinématographique nous a fait perdre le goût de tels ouvrages dans lesquels vibrait intensément l’âme du cinéma. Ils n’en demeurent pas moins des témoignages qui ont une infinie grandeur et que l’on ne peut revoir sans une certaine nostalgie.
Carl Vincent, Histoire de l’art cinématographique, 1938.

Misère au Borinage (1933)

Crise dans le monde capitaliste. Des usines sont fermées, abandonnées. Des millions de prolétaires ont faim! C’est sur ces mots de manifeste et de révolte que s’ouvre ce film fondateur du cinéma belge et une des références les plus importantes du film documentaire. En 1932 une grande grève avait paralysé les charbonnages de Wallonnie et la réponse patronale et policière avait été sans pitié, le tout dans la sous information et l’indifférence de la majorité du pays. André Thirifays, Pierre Vermeylen et tous les jeunes gens du club de l’écran indignés décidèrent de témoigner de cette misère noire avec leur arme à eux, une caméra.

Aidés par un médecin et un avocat, avec très peu d’argent, devant se cacher de la police mais soutenus par toute la population, le tournage se passa dans des conditions difficiles et exaltantes. Le film est dur, magnifique. Il a gardé toute sa force, son impact émotionnel d’indignation et de compassion. Il a donné à la classe ouvrière les images les plus fortes de son histoire et de ses luttes. Parmi elles: les expulsions, l’entassement des enfants dans les maisons taudis, leurs visages émaciés et absents, la procession avec le portrait de Karl Marx, le ramassage du mauvais charbon sur les terrils à l’aube, le mineur mendiant etc., sans oublier le choc du raccord des plans: les maisons vides alors que des sans-abri dorment dehors, une quasi famine et aucune aide tandis que des sommes importantes sont dépensées pour la construction d’une église…

… A bien des égards, le film fondateur du cinéma belge revêt des allures révolutionnaire. Premier film de témoignage… première expérience de mise en fiction du réel, … premier point de vue documenté… première plongée dans le social d’un pays déjà en phase de décomposition. Borinage a presque tout inventé…
Une encyclopédie des cinémas de Belgique. Sous la direction de Guy Jungblut, Patrick Leboutte et Dominique Païni, Ed. Yellow Now, 1990

Borinage décrit avec une telle force la misère des Borains que les autorités préférèrent longtemps en interdire la projection.
Paul Davay, Cinéma de Belgique, Ed Duculot.

 

Contexte de réalisation 

Misère au Borinage est né d’une commande du Club de l’Ecran de Bruxelles. André Thirifays avait lu une brochure : « Comment on crève de faim au Levant de Mons » (nom d’un charbonnage).

Henri Storck se souvient : « Je me suis rendu sur les lieux, j’ai commencé une enquête mais je me suis rapidement rendu compte que je connaissais mal ce milieu des ouvriers grévistes, des militants ardents, or Ivens m’avait parlé de ses expériences de son film Komsomol, de ses discussions avec les syndicats soviétiques, je savais qu’il serait enthousiasmé à l’idée de travailler sur un film de ce type-là, en toute liberté. Il m’avait raconté que pour Philips il n’avait pas pu pénétrer dans la vie des ouvriers mais seulement à l’intérieur de l’usine ; ici il pouvait travailler chez les ouvriers mais nous ne pouvions pas entrer dans les charbonnages, c’était l’inverse.
Il avait l’expérience du monde ouvrier ; il a accepté ma proposition et nous avons travaillé dans la plus parfaite harmonie filmant ce que nous voyions ; nous n’étions pas seuls, nous étions en quelque sorte les techniciens du film, les capteurs d’images. Nous étions guidés par Paul Hennebert du Secours Ouvrier International qui avait écrit la brochure Les avocats du Secours Rouge et les ouvriers qui étaient les victimes punies par les charbonnages pour avoir fait la grève l’année précédente.
Le grand mérite de cette collaboration entre Ivens et moi c’est la stimulation, on avait le même appareil, une Kinamo chacun, parfois un cameraman pour les deux ou trois scènes qui demandaient un peu plus de soin (nous tournions quasi sans argent). Au départ, je pensais faire un film axé sur la misère ; Ivens l’a élargi aux problèmes du temps, à la crise internationale… c’était en 1933.
Cette dimension a permis au film d’avoir une carrière internationale et de lui donner une plus grande signification. (…) ».

Note d'intention du compositeur 

Henri Storck l’affirme : « le cinéma muet avait mis au point des formes narratives parfaites et des techniques de prise de vues remarquables. Au temps du muet, on pouvait dire que c’est par les images qu’un sourd entendait ce qu’avait à lui dire un muet. Et le comble de l’art était de tourner des films sans aucun intertitre. »

Au sujet de son film Images d’Ostende, tourné durant l’hiver 1929-1930 qu’il qualifie de « purement visuel », il n’existe pour lui « aucune solution sonore, il ne tolère aucune musique, aucune musique ne colle avec les images et tout ce qu’on pourrait ajouter comme bruit ou parole ne pourrait que détruire une sorte de poésie visuelle qui s’en dégage ».

Quant à Misère au Borinage, tourné en 1933, un film « purement muet, coupé d’intertitres. L’effet était puissant. Les titres créaient un rythme et donnaient une information et un sens aux images, lesquelles s’adressaient plutôt à la sensibilité ».

A l’origine, Ivens et Storck voulaient faire appel à Bertolt Brecht pour écrire un prologue et à Hans Eisler pour composer une musique. « Mais les circonstances (la même année les livres de Brecht étaient brûlés à Berlin et il avait fui au Danemark) et la pénurie de moyens nous en empêchèrent ». 

Au début des années soixante, les intertitres ont été remplacés par un commentaire parlé en respectant scrupuleusement les intertitres originaux et avec une attention toute particulière au ton de la lecture, pour respecter au maximum le projet initial.

Cependant, en 1983-84, un ancien élève d’Eisler, André Asriel, fut invité par l’historien allemand du cinéma, Lothar Prox, à écrire une musique pour Misère au Borinage.

Storck décrit l’accompagnement du film par la musique d’Asriel, comme une « musique de grande qualité et tout à fait dans le style d’Eisler [qui] ajoute un sentiment d’exaltation révolutionnaire au film qui ne dessert pas celui-ci mais qui enlève peut-être au document ce côté implacable et irréfutable qu’il possède. C’est un bon exemple de la manière de faire glisser un document rigoureux vers un pamphlet lyrique. »

Ces commentaires d’Henri Storck nous montrent toute la méfiance qu’il portait envers l’adaptation musicale de ses films. La musique par trop de lyrisme peut soit étouffer une construction poétique visuelle, soit déforcer, voire détourner, le propos filmique par une surenchère de pathos. 

Je pense que la solution à la problématique posée par Storck est possible en trouvant la distance juste face à l’image — sans trop de détails explicatifs mais sans être trop détaché de la narration non plus —, avec une structuration par grandes entités dramaturgiques. De plus, en utilisant une palette subtile et variée de couleurs instrumentales, on peut réussir à alléger le propos sonore. Tout cela devrait être moulé dans un sens rythmique vivant qui ne se prive ni de groove, ni de répétition, de façon à bien laisser respirer les images.

Création mondiale à Bozar le 2 avril 2022
À l'initiative de Jérôme Giersé, directeur de Bozar Musique, le ciné concert a été créé dans la salle Henri Le Boeuf à l'occasion du 250ème anniversaire du lieu.
S'en est suivie la magnifique version des films en musique que voici :
Presse

De la musique de Stéphane Orlando, je retiens son intégration à la projection, le discret effacement à son service ; je la ressens parfois trop timide, au classicisme déroutant face à la révolte engagée du film – mais peut-être est-ce à ce prix qu’on installe cette relation entre le public et des images implacables, dont Storck craignait qu’une adaptation musicale déforce le propos, et qu’Orlando tente de résoudre par une structure dénuée de détails excédentaires, une distance relative et une ample palette de timbres.

Bernard Vincken - Crescendo Magazine Bruxelles, Bozar, le 2 avril 2022

À propos de Stéphane Orlando

Depuis ses débuts au piano à sept ans, Stéphane Orlando compose et improvise. Il entre au Conservatoire royal de Mons à quinze ans et y obtient un premier prix de solfège, de piano et d’analyse-écritures. Ensuite, il se consacre au contrepoint puis à la fugue au Koninklijk Conservatorium van Brussel, et obtient un master en Ecritures. Pendant cette formation, il étudie aussi la musicologie à l’Université Libre de Bruxelles et se spécialise dans les rapports sons/images. 

En novembre 2001, il devient improvisateur à la Cinémathèque Royale de Belgique où il acquiert une expérience d’accompagnement de plus de 500 films muets.

​​Président de la Société Belge d’Analyse Musicale entre janvier 2009 et mai 2016, il fonde notamment la Biennale d'analyse musicale en 2011. Il préside depuis 2015 le Forum des Compositeurs.

Le projet The Smile, en préparation, consacrera un CD dédié aux films-opéras de Stéphane Orlando.

www.stephaneorlando.com
https://www.facebook.com/orlandostef/

Stéphane Orlando à propos de la création
A propos de Jean-Paul Dessy
Compositeur, chef d’orchestre et violoncelliste, Jean-Paul Dessy est également titulaire d’une maîtrise en philosophie et lettres. Il dirige l’ensemble de création musicale « Musiques Nouvelles » en résidence sur Mars - Mons arts de la scène, dans la maison de l’écoute « Arsonic », salle à l’acoustique exceptionnelle dont il est le concepteur et le directeur depuis 2015. Jean-Paul Dessy a dirigé plus de deux cent cinquante créations mondiales d’œuvres d’aujourd’hui et a enregistré plus de cinquante CD de musiques classique et contemporaine. Il a par ailleurs collaboré avec près d’une centaine d’artistes du monde de la chanson, du jazz, de la pop et du rock. Il a composé de la musique symphonique, de la musique de chambre, de la musique électronique, un opéra, un requiem ainsi que de nombreuses pièces pour la scène, le théâtre et la danse. Le Chant du Monde/Harmonia Mundi a publié deux CD consacrés à ses compositions pour violoncelle : The Present’s presents et Prophètes dont il est aussi l’interprète. Le label Cyprès a édité deux CD de ses œuvres O Clock et Requiems. La recherche musicale de Jean-Paul Dessy s’inscrit dans le champ du sacré : le concert comme liturgie, la pratique instrumentale comme voie de méditation, la composition comme lieu de prophétie, le son comme révélation.
A propos de Musiques Nouvelles
Créé par Pierre Bartholommée en 1962 et dirigé depuis 1997 par Jean-Paul Dessy, l’ensemble Musiques Nouvelles défend la diversité formelle, géographique et culturelle des musiques de création. Constitué d’un noyau très stable d’une douzaine de musiciens fidèles choisis tout autant pour leur grande virtuosité que pour la ferveur de leur engagement, l'ensemble, en résidence dans la salle Arsonic à Mons, a pour vocation de mettre en valeur les musiques de création. Les musiciens sont chacun dans leur discipline instrumentale parmi les meilleurs de leur génération et sont tous de véritables spécialistes des musiques d’aujourd’hui. La formation déploie un intérêt croissant pour les projets pluridisciplinaires associant musique, danse, cinéma, opéra, théâtre, poésie, spiritualité et arts plastiques.
Défendre la création musicale et faire découvrir les émergences internationales sont les 2 axes essentiels de la programmation de Musiques Nouvelles.
De nombreux extraits de créations sont disponibles en ligne Youtube Musiques Nouvelles Channel.

Sources : 

https://fondshenristorck.be/henri-storck/ecrits/entretien/
https://fondshenristorck.be/henri-storck/filmographie-hs/alphabetique-hs/images-d-ostende/
https://fondshenristorck.be/henri-storck/filmographie-hs/alphabetique-hs/misere-au-borinage/

Photos via google drive 

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