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L'automne à Varsovie de Musiques Nouvelles

Pour sa quarante-sixième édition, le prestigieux Festival de musiques contemporaines, Automne à Varsovie (Warszawska Jesien), reflète toujours du sain esprit prospectif qui l'anime depuis ses débuts. 46e Festival d'Automne

Avec pour seul credo de proposer à l'écoute des oeuvres issues de tous les horizons et chapelles musicales, il nous emmène dans une exploration fascinante et dépoussiérée de l'histoire sonore de la seconde moitié du 20e siècle, à travers les oeuvres de compositeurs marquants : Boulez, Sciarrino, Berio, Scelsi, Wolfgang Rihm. Le Festival reste bien entendu l'occasion pour le public occidental de (re-)découvrir des compositeurs polonais de grand talent comme Witold Szalonek ou Krzysztof Knittel. Lors de cette édition, Automne à Varsovie a invité en ses murs l'Ensemble Musiques Nouvelles, dirigé par le violoncelliste belge Jean-Paul Dessy, pour présenter une soirée composée de plusieurs pièces audacieuses, toutes interprétées par l'Ensemble, et mêlant sous une même bannière, et pour notre plus grand plaisir, tradition acoustique et expérimentation électronique. For your ears only.

En ouverture de la soirée, la pièce de Fausto Romitelli (Flowing down to slow) nous convie d'emblée dans un univers sonore puissant, une géomancie du magma, expérience hypnotique qui prend les allures d'une liturgie constamment à la dérive, charriant une rhétorique du flot qui puise sa force dans un obsédant retour de la mêmeté. Itération infinie du même et miroir trouble où le regard et l'écoute se perdent jusqu'à la dissolution.

Suit une composition de Jean-Paul Dessy, Fable Ineffable, pièce ciselée pour cordes et échantillons, et qui fait écho dans des mondes souterrains à des peines et des joies indicibles. Soutenue par les chants douloureux d'animaux (loup, baleine, dauphin), délicatement intégrés à la composition, la déchirure du violon sous l'archet semble répondre à cette clameur universelle, faisant place aussi à de beaux moments d'allégresse. La musique de Jean-Paul Dessy, consciente d'elle-même et de la tradition qu'elle véhicule sait s'oublier dans le flot musical et susciter un véritable plaisir d'écoute, Present is present, pièce qui clôturera la soirée et nouvelle création de l'Ensemble, d'une grande richesse harmonique, oscillant entre souffle fragile et énergie jupitérienne, en apportera une convaincante démonstration.

Avec une remarquable fluidité d'exécution, l'Ensemble explore ensuite l'univers de plusieurs créateurs dont celui du compositeur roumain, Horatiu Radulescu, avec une pièce à la structure parfaite, où s'ébattent dans l'immensité du multivers acoustique toute une cosmogonie silencieuse, des courants d'énergie spectrale et une musique de l'infra-mince. Si l'écoute en est parfois déroutante pour le non-averti, l'exploration formelle conserve toutefois un magnétisme intact.

Kasper Toeplitz (MSG #9), jeune compositeur franco-polonais, nous emmène ensuite dans un territoire de l'écoute où l'anecdotique n'a plus sa place, où l'expérience sonore outrepasse les frontières de la musique même et sa tradition mélodique ou rythmique, synthétique ou naturelle. Dans les microscopiques interstices sonores, Toeplitz touche au grain, sculpte la matière, travaille la dynamique pour façonner des oscillations neuves, un étirement de la durée, une contemplation dans la chute du temps.

Démontrant la volonté d'ouverture et de mélange des genres de Musiques Nouvelles, Chamber Symphony N.2 de David Shea, génial trublion de l'électronique new-yorkaise, empêcheur d'écouter en rond, est une oeuvre hyperkinétique, qui s'efforce de concilier les deux mondes, acoustique et électronique, dans une tentative non de fusion, mais plutôt d'absorption de l'une par l'autre. Délaissant quelque peu son habituelle écriture "cinématographique", que l'on a pu entendre sur ses compositions électroniques (Satyricon, the Tower of Mirrors, An Eastern Western Collected Works ou sur les différentes collaborations avec John Zorn, entre autres), le "sampler composer" nomade impulse une énergie techno à la tradition acoustique classique sans pour autant en appauvrir le langage.

A noter que la plupart de ces pièces - ainsi que d'autres - interprétées par Art Zoyd et l'Ensemble Musiques Nouvelles se retrouvent sur un très beau triple CD, Expériences de Vol, sorti en 2002 sur le label belge Sub Rosa.

 

Représentations passées

24/09/2003
Académie de Musique Frédéric Chopin - Varsovie