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Michel Lysight : Nouvelle Consonance, plaisir et découverte de soi - Entretien Isabelle Françaix

 

Compositeur et chef d'orchestre belgo-canadien, Michel Lysight (1958*) enseigne la formation musicale et la formation aux langages contemporains au Conservatoire Royal de Bruxelles et dirige l'ensemble de musique contemporaine Nouvelles Consonances. Avec verve et humour, il nous dresse un portrait de la musique contemporaine qui ne manque pas de piquant et témoigne avec élan de ses amours musicales.

Michel Lysight, comment envisagez-vous la musique contemporaine ?

Je vais jouer le rôle du professeur, car la réponse ne dépend pas de moi : il s'agit de définir un état des lieux sans exprimer mes goûts. Ma charge au Conservatoire est la formation aux langages contemporains, en insistant sur le pluriel. Je dis  à mes étudiants : « Je sais que vous venez avec des pieds de plomb à l'intitulé du cours parce que bourrés de préjugés… Je vais vous montrer qu'il n'y a pas « une » musique contemporaine, mais des centaines voire des milliers de musiques contemporaines différentes et des langages parfois totalement opposés, tous aussi valables les uns que les autres. »

Le XXe siècle est sans doute avec le XXIe celui qui aura vu le plus de foisonnements d'esthétiques et de langages. C'est lié en grande partie aux moyens de communication tels qu'on n'en a jamais connu dans l'histoire de l'humanité ; la vitesse d'information permet aux styles d'évoluer plus vite, en partie parce qu'on subit plus rapidement les influences.
 
On peut faire deux distinctions. Il y a eu dans les années 50 avec l'avènement du sérialisme intégral (l'école de Darmstadt, le jeune Boulez, Stockhausen, etc.), une période qui n'a pas été, à mon sens, la plus joyeuse de l'histoire de la musique ! Elle a peut-être été nécessaire, pour autant qu'il y ait une nécessité dans l'histoire… Un jour, on m'a dit : « Vous n'écrivez pas une musique dans le sens de l'histoire. » J'ai répondu tout simplement : « J'ignorais que l'histoire avait un sens ! » Pour moi, l'histoire n'a de sens que celui qu'on lui donne a posteriori et je ne sais plus qui a dit que l'histoire n'était toujours de toutes façons que celle des vainqueurs.
 
Je reste donc extrêmement prudent vis-à-vis du concept « sens de l'histoire ». On a vu ce que ça a pu donner : tous les « révolutionnaires » qui ont massacré des milliers de gens ont toujours cru qu'ils allaient dans le sens de l'histoire. On n'en est pas là au niveau de la musique, cependant la génération dont je parle a fait beaucoup de dégâts. Boulez a quand même dit et écrit que tout compositeur qui n'adhère pas au sérialisme intégral est un compositeur inutile. Je trouve cela d'une prétention sans nom qui correspond bien au personnage néanmoins supérieurement intelligent et d'une culture d'une vastitude sans bornes. Boulez est pour moi un dictateur. On l'a souvent comparé à Lully, mais je dis toujours : « Non, Lully, lui, écrivait de la musique ! »
 
Boulez est un fait historique et je ne suis pas révisionniste, donc à mon cours je travaille toujours sur des musiques que j'aime, que je n'aime pas du tout ou qui me sont tout à fait indifférentes mais qui, d'une manière ou d'une autre, ont une importance. Je ne me passe pas Le Marteau sans maître tous les jours, mais par déontologie, et parce que je ne veux pas être seul, je dis à mes étudiants : « Vous allez vous le taper aussi ! »
 
La période du sérialisme me semble importante parce qu'elle a fait du langage un but en soi et non plus un moyen. En tant qu'artiste, je ne peux pas être d'accord. Je peux comprendre la démarche qui, sur le plan intellectuel, est sans doute intéressante. Tout peut l'être d'ailleurs, du moment que ça fait travailler les neurones. Mais cela ne veut pas dire qu'il faut tout gober sous prétexte que « Faites emmerdant, ça fera sérieux ! » Etait-ce nécessaire, je n'en sais rien… Même les tenants les plus purs et durs en sont revenus eux-mêmes. Pas pour faire, à mon sens, tellement mieux ni tellement plus accessible d'ailleurs.
 
Le problème, ce n'est pas que chacun chante sa chanson comme il le veut, mais que ces gens-là prennent le pouvoir exclusif et parviennent à faire table rase de tout le reste ! On sombre dans une espèce de glacis stalinien qui me fait froid dans le dos. Pendant plusieurs années, on a assisté à ce phénomène et on est toujours en train d'en payer les pots cassés.  Pour la plupart des gens, la musique contemporaine est synonyme d'ennui fondamental et jamais mes étudiants n'iront d'eux-mêmes en jouer ou en écouter, sachant rarement qu'existent également Steve Reich ou Arvo Pärt…
 

Nous sommes dans une des rares périodes de l'histoire où on ne joue plus la musique contemporaine : on ne joue quasiment que de la musique ancienne. 1913 et Le Sacre du Printemps, ce n'est quand même pas la porte à côté !

Je fais donc découvrir à mes étudiants, outre le sérialisme intégral, Arvo Pärt, Gorecki, Phil Glass, Steve Reich, etc., et je mets un point d'honneur à leur faire découvrir des compositeurs parfois très connus dans leur pays, comme Lou Harrison, gigantesque aux Etats-Unis et quasi ignoré en Europe… Il a vécu très longtemps, a connu John Cage et partait du principe que la mélodie était la base génératrice de sa musique… Ou des compositeurs plus jeunes que je pressens être les grands de demain, même si je peux me tromper.
 

Mes étudiants ont une quarantaine d'œuvres à écouter pendant l'année et une épreuve de reconnaissance à la fin. Leurs oreilles, leur esprit commencent à s'ouvrir : j'essaie d'avoir un panel extrêmement large. Il y a de la musique dodécaphonique, de la Nouvelle Musique Consonante (comme on nomme en Belgique le post modernisme musical), des classiques du XXe siècle etc.

Et vous-même, où vous situez-vous dans la musique contemporaine ?

Dans le courant des compositeurs qui, à un moment donné, en ont eu marre. Si on voit la réaction en 1964 de Terry Riley quand il écrit In C, qui veut dire En ut, elle est totale et aussi radicale que le Marteau sans Maître. Mais c'est l'exact contre-pied de ce qui se fait en Europe où, là, on prône une musique très intellectuelle, totalement atonale, dans laquelle toute pulsation régulière est bannie. Une musique d'amnésique, où toute évocation du passé est à proscrire. Ça donnera toutes sortes de choses très souvent indigestes qui ne passent pas bien dans le public. La contre-réforme (ou la réforme, suivant le camp dans lequel on se situe : on est toujours le réactionnaire de quelqu'un d'autre !) vient des Etats-Unis, où les Riley, Reich, Glass (la première génération des minimalistes) vont dire : « Ras-le-bol ! ». Leurs premières œuvres sont radicales et pas si accessibles ! Mais… est-ce que Mozart l'est ? On croit qu'il est une évidence, mais c'est loin d'être le cas pour tout le monde…

La culture, ça se mérite.
 
Je me situe dans ce courant de compositeurs qui veulent faire une musique qui est ancrée dans le XXIe mais qui communique quelque chose et revienne à une forme d'émotion. On appelle ça la Nouvelle Musique Consonante (NMC). Ce n'est pas moi qui ai inventé le terme. J'ai eu la chance de rencontrer un éditeur qui travaille en Belgique et qui est devenu un ami. Il s'appelle Alain Van Kerckhoven et n'édite que de la NMC : sa spécialité est de faire découvrir les compositeurs post modernes. Il faut déjà avoir un esprit assez audacieux. C'est quasi un manifeste ! Il y croit.
 

Quand je suis sorti bardé de mon premier prix de composition (classe de Paul-Baudouin Michel) au Conservatoire Royal de Mons, j'ai découvert les minimalistes nord-américains ! Je ne voulais pas faire du sous Steve Reich ni du sous Phil Glass, mais ces compositeurs-là montraient qu'il était possible d'écrire encore de la musique tonale/modale, accessible, qui ne soit pas du Mozart remâché cent vingt-cinq fois ! Je m'y suis intéressé de près, j'ai rencontré Alain Van Kerckhoven. Une grande majorité de mon catalogue est éditée par lui.

Mon credo, si j'en ai un, c'est de vouloir communiquer du plaisir et de l'émotion. Mais pas bas de gamme, style musique du GB qu'on entend en poussant son caddie sur « Mademoiselle Germaine, caisse 12 ». Ca rapporte certainement davantage d'argent, mais si j'avais dû vivre de la composition, ça fait longtemps qu'on aurait suivi mon corbillard ! J'ai la chance de pouvoir enseigner au Conservatoire de Bruxelles et d'en vivre !
 

J'ai toujours eu cette vocation de pédagogue et de compositeur. Pour moi, les deux sont équivalents en importance.

Sont-ils liés parce qu'ils représentent une mission pour vous ?

Je préfère sans doute le terme de « vocation ». A partir du moment où on se sent investi d'une mission… qui nous en charge ? Comme je suis viscéralement athée, ça ne peut pas être Dieu ; si c'est moi… je me méfie des messies autoproclamés ! En général, ils mènent l'humanité à la catastrophe.
 

Mais une vocation, oui ! Jeune élève à l'Académie de Musique de Schaerbeek où j'ai fait toutes mes études avant de rentrer à l'ULB puis au Conservatoire, j'ai toujours eu des professeurs remarquables. Il y avait encore un niveau très élevé. Je suis tombé chez une dame professeur de piano très exigeante – Klara Konrad -, qui avait été formée en Hongrie à la dure. Je suis entré au Conservatoire grâce à elle en connaissant déjà beaucoup de choses ! J'ai eu d'excellents professeurs de solfège. Je m'inscris totalement en faux contre ceux qui  n'aiment pas le solfège. J'ai toujours adoré ça, mais uniquement car mes professeurs étaient formidables : non seulement, ils transmettaient un savoir, mais ils le dispensaient de manière exigeante et agréable (non ludique, car dans l'enseignement, c'est un terme qui me donne de l'urticaire). Maintenant, on a sombré en académie dans une sorte de mouvement « occupationnel » : le mot d'ordre c'est « Gardez les élèves pour les subsides ! » Cela fait des dégâts : le fossé entre académies et conservatoires est devenu Grand Canyon. Un vrai cataclysme. Si, au Conservatoire de Bruxelles, on devait supprimer les étudiants étrangers, on ferme boutique demain ! Aux cordes, il n'y a quasi que des étudiants français… Quelques Belges sont disséminés dans la masse. Et pourquoi ? Parce que dans beaucoup de conservatoires français le système de Bologne n'est pas encore appliqué ; ils viennent en Belgique chercher un diplôme reconnu. Le jour où leurs conservatoires passeront à la « sauce bolognaise », ils viendront toujours pour certains grands professeurs comme Marie Hallynck ou Ronald Van Spaendonck ou Jean-Claude Vanden Eynden, c'est évident, … Mais de bons professeurs, il y en a aussi en France et… les tracasseries administratives belges sont parfois rédhibitoires.

Composer aujourd'hui a-t-il encore un sens dans ce monde-ci ?

Peut-être plus que jamais. L'art en général est une des grandes caractéristiques de l'humanité. Le jour où il n'y en aura plus, l'humanité ne survivra pas très longtemps ! Et je ne sais même pas si elle en vaudrait encore la peine…
 
Nous sommes dans une situation de crise : le message démagogique « tout le monde peut y arriver », c'est de la foutaise ! On  trompe les gens – qui n'ont pas tous le même potentiel - et on tombe dans ce « ici et maintenant » qui au niveau du savoir est une catastrophe : il faut que ce soit facile.  Certains étudiants ont arraché les pages du dictionnaire où figurent les termes « travail », « effort ». C'est gravissime. Ils ont été habitués à ce que ce soit « tout de suite » ; même s'ils ne jouent pas très bien, c'est bon ! Mais à un niveau professionnel, c'est sans avenir.
 
La composition est pour moi une nécessité. J'appartiens à la Nouvelle Consonance parce que c'est le courant esthétique qui me permet de m'épanouir. En classe de composition, j'ai eu deux professeurs : Jacqueline Fontyn et Paul-Baudouin Michel. C'était très différent : chez Jacqueline Fontyn, j'en arrivais à écrire de la musique que je ne comprenais plus moi-même. J'y parvenais mais j'alignais des notes comme j'aurais fait des mots-croisés : c'était de la pure technique et quand j'entendais le résultat, je finissais par détester ma propre musique. Paul-Baudouin Michel est lui aussi dans la mouvance de Darmstadt, musique aléatoire, etc., mais quand je lui ai dit dans quel courant je me sentais bien, il m'a répondu : « Ce n'est pas du tout ce que j'aime, mais si c'est bon pour toi, on fera ça. » Je fais souvent le parallèle avec une interview de John Adams : quand il étudiait à l'université, le diktat stalinien était le sérialisme… Il allait écouter Jimi Hendrix pour sortir du camp. On a vécu la même chose, mais lui dix ans avant. C'était une dictature. Aujourd'hui, soit par clonage soit de manière naturelle, de père en fils, on continue à imposer des langages dont finalement personne n'a rien à faire. La musique ghetto me sort par les yeux ! Écrire pour ses tiroirs, qui sont sans doute un public extrêmement docile, je n'en vois pas l'intérêt.
 
C'était la même chose dans le Nouveau Roman. J'ai dû me farcir La Modification de Michel Butor en secondaire. Pénible souvenir ! Or, je suis un littéraire et… je préférerais devenir sourd plutôt qu'aveugle. La musique, je peux encore l'entendre dans ma tête, je peux lire une partition… La lecture pour moi est une chose fondamentale ; ne plus pouvoir lire serait, je pense, la pire chose qui puisse m'arriver.
 

Tous les arts ont subi cela : le langage devient une espèce de but en soi. On se triture le langage jusqu'à l'abscons et finalement… Or, autant Butor m'a ennuyé, autant Souvenir du triangle d'or de Robbe-Grillet m'a semblé beau ! Il n'y a pas grand-chose à comprendre mais il y a une certaine poésie…

Mais je suis davantage passionné de SF : la grande ! Celle d'Asimov, de Simmons, de Clarke, celle qui pose les réelles questions à l'humanité.

Je me méfie de l'art qui se regarde le nombril.

Pour un compositeur, parle-t-on, comme pour un musicien, de musicalité autant que de technique ?

A mon niveau, si j'écris de la musique, c'est pour la communiquer. Quand je vois le mal qu'on se donne pour écrire ! Ceux qui s'imaginent que j'écris avec plaisir se fourrent le droit dans l'œil jusqu'aux omoplates ! J'écris parce que j'en ai besoin, parce que c'est mon métier ! Ce n'est pas un plaisir, c'est une nécessité. Il y a des moments où j'ai du plaisir à écrire, ça oui ! Quand les choses viennent facilement… Il y a des moments de fulgurance où une idée en amène une autre… et d'autres où… bon… et maintenant ? Et puis ça se décoince, parce qu'on est professionnel.
 
Mais les expériences de laboratoire me laissent froids. Je suis le premier pourtant à reconnaître ce que je leur dois. J'ai horreur de la musique de Stockhausen, mais une certaine période pointilliste du sérialisme intégral ou de Webern, qui n'est pas du tout ma tasse de thé en soi, a pu me donner des idées pour le développement de mon langage. J'ai lu brièvement une interview d'un professeur au CNSM de Paris, Michèle Reverdy, élève de Messiaen, qui se situe dans un courant complètement atonal, et qui disait avec une espèce de mépris très parisien : « Oui, tous ces compositeurs néo-tonaux… ». Ce qui signifiait « inutiles » et « sans valeur ». Le snobisme a encore de beaux jours devant lui !
 
Que des gens, dans le langage qu'ils ont choisi, aient des choses à dire et que d'autres soient des épigones et ne remuent que du vent, ça a été de tout temps ! Qui subsiste de l'époque classique ? Mozart, Haydn, le jeune Beethoven. Ils sont trois. Tous les autres sont passés plus ou moins à la trappe. On les déterre de temps en temps ; on écoute le Chevalier de Saint-Georges ou Salieri. C'est sans doute extrêmement sympathique, et c'est de la musique très bien faite. Mais le langage est convenu. C'est vrai pour toutes les époques.
 

C'est ce qui est consternant dans les festivals comme Ars Musica : très souvent, vous avez droit à une heure d'explications pour cinq minutes de musique, et quand vous entendez les cinq minutes de « musique », vous ne reconnaissez rien de ce qui a été expliqué ; on est parfois déjà content d'avoir compris les explications, car c'est tellement facile d'inonder de termes techniques ou prétentieux les gens qui n'ont pas la formation requise. C'est souvent enrober le vide dans un très beau paquet cadeau.

Parmi les compositeurs du passé, avez-vous des modèles ?

Ah, j'ai mon Panthéon personnel ! Qui s'est agrandi au fur et à mesure… Avant d'avoir découvert les minimalistes nord-américains qui ont été le déclic fondateur de mon langage, c'étaient Debussy, Stravinsky, Bartók. Ma sainte trinité. Bartók parce que Klara Konrad qui était mon professeur de piano hongroise me l'a fait découvrir très tôt. Stravinsky, c'était plus tard car quasi aucune de ses œuvres pour piano n'est techniquement accessible en académie. Je l'ai donc découvert par le disque : coup de foudre ! Et Debussy, parce qu'en tant qu'étudiant au piano, c'est celui que je jouais le mieux. Je sentais cette musique (et je la sens toujours) avec ce toucher, cette sensibilité particulière… C'est sa couleur que je trouve formidable, et à travers elle j'ai beaucoup aimé la musique française. En cela, je me sens un peu lié à Philip Glass qui est un francophile : il a étudié chez Nadia Boulanger dans les années 60 ; il est fasciné par Cocteau et moi aussi…
 
Si j'aime Debussy spécialement pour la couleur et la subtilité de l'harmonie, j'adore Stravinsky pour tout, particulièrement le rythme (je suis un afficionado de la rythmique ! Je donne cours de solfège et mes étudiants savent très bien que je pardonne beaucoup de choses mais pas une faute de rythme.) Le rythme, c'est le fondement. Si on fait une faute de rythme dans une pièce de musique de chambre ou à l'orchestre, on risque de flanquer tout le monde par terre. Une fausse note, ça n'est pas si grave. Une instabilité rythmique est par contre très difficile à gérer.
 

J'adore Bartók sur le plan mélodique, mais pour sa grande souplesse rythmique. Il part du folklore existant et crée son propre folklore imaginaire.

C'était mon premier Panthéon jusqu'en 1989, l'année de mon prix de composition, car j'avais pris soin auparavant d'avoir mes prix d'écriture académique, c'est-à-dire harmonie, contrepoint et fugue (ce qui a disparu de l'enseignement dans une espèce de joyeux melting-pot intitulé « Ecritures approfondies » où les étudiants en composition eux-mêmes me disent qu'ils regrettent de ne pas avoir de formation de contrepoint solide, voire même de fugue). Techniquement, c'est très constructif sur le plan compositionnel du point de vue de l'exigence. Il faut donner les moyens de développer ses idées. Ensuite, on se crée soi-même son propre cadre.
 

La découverte de Steve Reich a été quasi une révélation mystique, prosterné le front dans la poussière ! Vraiment, je me suis dit : « Voilà quelqu'un qui fait de la musique que je comprends, accessible sans se prostituer ni être démagogique, et qui me touche ! Et en corollaire, j'ai pensé : « Ça alors, y a moyen ! » A partir de là, je me suis décomplexé, car le résultat de quatre ans chez Jacqueline Fontyn m'avait amené à la conclusion que je n'étais pas fait pour être compositeur. Mais quel était le but : faire évoluer son langage ou faire du langage en soi ? On tourne toujours autour du même problème.

C'est une question de remise en cause d'un système.
 
Tous les compositeurs ont leurs ficelles, leurs trucs, etc. S'il faut à chaque œuvre se masturber les neurones ! Un ami me disait : « Le XXe siècle est un des rares où les compositeurs éprouvent le besoin de révolutionner la musique à chaque note. »
 
Je pense avoir trouvé mon langage avec mes tics et mes trucs mais j'essaie de ne pas m'autoparodier.
 

Si on a une commande urgente, évidemment, on ne s'autoflagelle pas ! Quand je veux prendre le temps, j'essaie de faire évoluer ces ficelles ou ces trucs.

D'où vous vient l'impulsion de créer une œuvre non commandée ?

C'est très difficile de répondre. J'ai écrit beaucoup d'œuvres à destination d'interprètes amis, par envie de le faire et parce que je savais qu'ils allaient les jouer ! Par exemple, Ronald Van Spaendonck et Jean-Marc Fessard sont devenus mes deux clarinettistes de prédilection. C'est très stimulant.

Sur une arche musicale hypothétique, quelle œuvre sauveriez-vous ?

C'est le choix de Sophie ! Mon Concerto pour clarinette ! Ou Anamnèse ! Bizarrement, c'est peut-être une des raisons pour lesquelles je ne mets jamais de numéro d'opus sur mes pièces. J'aime bien les considérer comme un matériau et voir ce que je peux en faire pour d'autres formations instrumentales… Donc je ne les classe pas car je ne fais pas d'échelle de valeur entre elles. Il n'y a pas d'œuvre mineure…

Pensez-vous poursuivre une quête ?

Peut-être. Ce que j'exprime dans ma musique, c'est moi-même. C'est une manière de me découvrir, à moi-même et aux autres. J'ai un profond respect pour les commentaires faits sur ma musique, désagréables ou agréables. On croit que la musique est archétypale, or des personnes la perçoivent parfois de façon diamétralement opposée.
 
C'est donc une quête de la découverte de soi, mais aussi une quête du plaisir. Je n'ai pas forcément de plaisir à composer, parce que c'est un travail. Par contre, quand je suis bien joué, c'est quasi un orgasme ! Et je préfère n'être pas joué qu'être mal joué car c'est une expérience terrifiante ! Et en plus, on doit parfois encore dire « merci » après le concert.
 
Cependant j'aime que les musiciens s'approprient l'œuvre avant de me poser des questions. Je préfère un interprète qui défend ma musique de manière très différente de celle que j'entends intérieurement plutôt que de lui infliger une interprétation où il se sentira étriqué.
 
Ma musique, qui est plutôt modale, est souvent difficile à mettre en place du point de vue rythmique. On peut faire du pointillisme en étant tonal. Je crois qu'il est malhonnête de dire que tous les compositeurs néo-romantiques, néo-tonaux font un retour à la préhistoire…

Auriez-vous aimé faire un tour dans une autre époque ?

S'il s'agit d'y vivre, j'aime la mienne. J'y ai trouvé le langage qui me convient et qui n'aurait pas été possible dans une autre. Par contre, une période me fascine : celle des salons de l'entre-deux-guerres, pas pour les salons car je ne suis pas du tout mondain… mais pour l'émulation des artistes qui s'y croisaient !

Propos recueillis par Isabelle Françaix, à Bruxelles, en décembre 2008
Photos : Michel Lysight. Télécharger les photos.