Musiques Nouvelles,
sous la direction de Jean-Paul Dessy
Antoine Maisonhaute (violon) ; Jeroen Robbrecht (alto) ; Jean-Pol Zanutel, Jeanne Maisonhaute (violoncelles) ; André Ristic (piano) ; Alice Pêtre (harpe) ; Etienne Charbonnier (contrebasse) ; Berten D'Hollander (flûte, piccolo) ; Charles Michiels (clarinette) ; Sébastien Vanlerberghe (hautbois) ; Jean-Louis Ollé (basson) ; Denis Simándy (cor) ; Luc Sirjacques (trompette) ; Adrien Lambinet (trombone) ; Simon Diricq (saxophone) ; Stephan Vanaenroede (tuba) ; Pierre Quiriny, Louison Renault & Antoine Siguré (percussions)
«L'identité littéraire, c'est du côté de la langue qu'il faut la chercher et non du côté de la nation, de l'État ou du territoire», écrit Jean-Luc Outers en 1992. Qu'en est-il de l'identité musicale, et plus précisément de l'identité musicale belge? Le sujet brûle davantage encore, et plus que jamais en ces jours de divisions politiques, si l'on tente de «simplifier» la question: existe-t-il une identité belge tout court? Ruggero Campagnoli a évoqué la «belgité», une hantise du creux et de l'absence en comparaison avec l'idée du plein et de l'histoire qu'incarne la France. Déshistoire pour un pays de nulle part ou «nébuleuse en creux», selon une expression de Jean-Luc Outers? Pierre Mertens et le sociologue Claude Javeau ont avancé la notion de «belgitude»: une appartenance jusque-là déniée à un pays, et dont le néologisme en porterait l'esthétique. André Miguel et Liliane Wouters décrivirent une «terre d'écarts» littéraire [Ecrivains français de Belgique – Bruxelles – Editions Universitaires – 1980]: «Service et mystère des écarts. Une démarche irrégulière qui fait des écarts. […]Fait d'écarts, vivant de ses morceaux hétéroclites, glissant dans le vide entre les écarts, suivant les lignes de fuite, d'écarts, les courbures hors des normes de l'homogène. Ecarts d'imagination.» [Ibid. Le jeu des écarts – André Miguel]
Le projet Une Belgique multisonore épouse une des missions de l'ensemble Musiques Nouvelles qui garde à cœur de promouvoir régulièrement la création musicale francophone belge, prospective, inventive, qualitative et extrêmement diversifiée. Quatre pièces de quatre compositeurs belges sont créées dans le cadre du Festival Ars Musica 2011 aux côtés de Composition n°1: Dona nobis pacem de Galina Ustvolskaya (1919-2006) et d'Octandre d'Edgard Varèse (1883-1965).
La musique de la compositrice russe, unique en son genre, traversa le siècle comme celle de Giacinto Scelsi, incantatoire, unique et isolée. Elle fascina Chostakovitch, dont elle fut l'élève et qui la demanda (vainement) en mariage à la mort de sa femme: «Je suis un talent; vous êtes un phénomène.» Frans C. Lemaire, éminent spécialiste de la musique russe et soviétique, raconte au fil de ses écrits que le musicologue néerlandais Elmer Schönberger la décrivait comme «la femme au marteau» et le compositeur Viktor Suslin l'appelait «le trou noir» en raison de la densité de ses œuvres! Elle compta parmi ses élèves Boris Tichtchenko et Victor Kissine.
Edgard Varèse se voulait chercheur mais n'aimait pas qu'on le qualifie de précurseur, soucieux d'embrasser le présent, fiévreusement, et d'en explorer les multiples pistes immédiates. Bien en avance sur son temps cependant et impatient des progrès de la technologie, il travaillait déjà avec les sons bien plus qu'avec les notes, refusant tout compromis pour mener à bien son œuvre, tendu vers la découverte, la sensation et l'intériorisation de la musique: «L'art ne rassure personne… Il faut que l'auditeur absorbe. Puis qu'il vibre. Enfin qu'il tire des conclusions.»
Précédés de ces formidables créateurs au style inclassable, au parcours rude et ascétique pour l'une, exigeant et visionnaire pour l'autre, indéniablement passionné dans les deux cas, Paul-Baudouin Michel, Denis Bosse, Jean-Luc Fafchamps et Denis Pousseur, qui nous offrent chacun une œuvre nouvelle commandée pour l'occasion, ont accepté de nous parler de leur démarche.
(Texte : Isabelle Françaix)
Programme
Denis Bosse, Lettre à Jean-Paul Dessy, création mondiale, solo pour cor (Denis Simàndy)
Galina Ustvolskaya : Composition n°1 pour piccolo, tuba basse et piano, 1971
Jean-Luc Fafchamps : En 2011, toutes les 4"…, création mondiale, solo pour percussion (Pierre Quiriny)
Denis Pousseur, : Mouvement, création mondiale pour clarinette (Charles Michiels), violoncelle (Jeanne Maisonhaute) et percussion (Pierre Quiriny)
Paul-Baudouin Michel : Terza Rima, création mondiale , pour flûte, clarinette, saxo, trompette, trombone, percussions, célesta, harpe, violon, alto, violoncelle
Edgard Varese : Octandre pour flûte, hautbois, clarinette, basson, cor, trompette, trombone, contrebasse, 1923
Lettre à Jean-Paul Dessy, de Denis Bosse
Né en France en 1960, Denis Bosse étudie au Conservatoire de Bordeaux et, passionné par la recherche, suit les cours d'été de Darmstadt et du Centre Acanthes. En 1989, Jacqueline Fontyn l'invite dans sa classe de composition, à Bruxelles. Ensuite il travaille avec Frederic Rzweski à Liège. Ces rencontres sont décisivescar il s'installe alors définitivement en Belgique. Aujourd'hui, il évoque en souriant sa Belgique postnatale: J'ai fait une psychanalyse qui m'a ancré ici, ainsi que des rencontres musicales chaleureuses…Les connivences musicales lui sont chères, à l'origine d'un cycle musical ouvert: Lettre à lettre qui, nous confie-t-il, peut s'entendre aussi comme Pas à pas.
La forme épistolaire étant le plus souvent un genre littéraire prisé des Romantiques, oscillant entre réalité et fiction, comme une reformulation de soi vers l'autre, Denis Bosse est-il un Romantique?
Le romantisme n'est pas du tout à l'origine de mes lettres en tout cas! Il faudrait plutôt la chercher dans la psychanalyse. Lorsque j'éprouve des sentiments forts à l'égard de personnes ou d'événements, je suis souvent traversé d'émotions que je ne sais pas exprimer autrement que musicalement. La lettre musicale que je dédie à Jean-Paul Dessy est une très longue histoire… Je pourrais vous parler de mon admiration pour le musicien et de mon amitié pour l'homme. Mais il me serait difficile d'exprimer tout cela avec des mots… Jean-Paul est un ami de très longue date; il m'a toujours témoigné beaucoup de sincérité. Ce qui est rare et précieux. Je lui en suis très reconnaissant.
Une des premières pièces que j'ai composées en Belgique était un quatuor à cordes qui lui était destiné. Puis, je lui ai dédié un grand solo pour violoncelle et un concerto. Cette lettre est aussi une histoire d'amitié avec le merveilleux corniste Denis Simándy qui en sera l'interprète.
[Extrait d'un entretien avec
Denis Bosse, paru dans la
Revue#5 de Musiques Nouvelles et dans son intégralité
ICI - propos recueillis par Isabelle Françaix]
En 2011, toutes les 4"… de Jean-Luc Fafchamps
Entre l'écriture des Lettres soufies, après les explosifs Back to the Pulse, Back to the Sound et Street Music, Jean-Luc Fafchamps laisse décanter désir de sérénité et colère contre un monde qui ne tourne plus rond. Avec une fougueuse sincérité, le compositeur belge qui est aussi professeur d'analyse musicale au Conservatoire de Mons, s'interroge sur les valeurs utopiques de la composition. Jean-Luc Fafchamps n'imagine pas écrire sans cette force vive, aussi bien physique, intellectuelle et spirituelle, qui préserve de l'imposture et donne un sens à la création. En 2011, toutes les 4”… est un titre bien mystérieux qui semble suspendre une révélation et Jean-Luc Fafchamps nous confirme qu'il s'y cache un effet dramatique. S'agit-il pour autant d'une pièce engagée? Mon travail oscille depuis des années entre le grand cycle des Lettres soufies et le désir d'écrire une musique qui s'inscrive dans un engagement citoyen… Foncièrement, je ne crois pas que la musique puisse être engagée par ses ressources propres sans être le résultat d'une mise en scène; ce qui pose la question de la sincérité et de la préméditation. Peut-être est-ce dangereux et critiquable mais cette utopie m'interpelle, à côté du cycle purement sonore et spirituel des Lettres soufies - Grand Œuvre existentiel - pour ne pas m'abstraire complètement dans une tour d'ivoire.
En 2011, toutes les 4”… est né d'un choc émotionnel que je voulais partager de façon tonitruante. J'avais pensé l'écrire pour un orchestre symphonique mais l'occasion ne s'y prêtant pas, j'ai eu l'idée d'un solo de percussions avec «coup de théâtre» final.
Puisque le public ne saura pas clairement de quoi il retourne avant la fin de la pièce, cela veut-il dire que la musique est censée porter l'émotion qui a initié son écriture? Notre lien social passe par l'émotion, au-delà de notre conscience intellectuelle des faits qui nous entourent. Cependant, si la musique est émouvante, les émotions qu'elle suscite – fort heureusement – ne sont pas directement reliées aux faits du monde réel. Ici, par le biais d'une stratégie théâtrale, d'un artifice, les auditeurs seront conduits à prendre subitement conscience d'un sens jusque-là tu. Ainsi, plutôt qu'objectif ultime, à la manière dont l'envisageaient les Romantiques, l'émotion est mise en perspective dans l'espoir de renvoyer chacun à une prise de conscience de sa propre responsabilité.
Si Pierre Quiriny, le percussionniste, révèle finalement quelque chose au public, s'agit-il d'une émotion rétrospective ? Sans doute, bien que je mette aussi tout en œuvre pour qu'il se dégage de la musique par elle-même une émotion de type esthétique, prospective celle-là. J'écris la pièce sous l'influence de certaines pièces de Xenakis, comme Rebonds. La jouer plus rapidement que le tempo indiqué sera difficilement possible. Cependant, elle est conçue pour pouvoir être jouée plus lentement. J'espère, pour tout dire, qu'on la jouera plus lentement l'année prochaine, et ainsi de suite…
[Extrait d'un entretien avec
Jean-Luc Fafchamps, paru dans la
Revue#5 de Musiques Nouvelles et dans son intégralité
ICI - propos recueillis par Isabelle Françaix]
Terza Rima de Paul-Baudouin Michel
Amoureux de littérature, curieux de l'évolution scientifique, soucieux d'observer la pointe de la modernité, Paul-Baudouin Michel ne se laisse pas dépasser par l'informatique: un ordinateur trône dans son bureau, sur lequel il écrit ou recopie ses pièces musicales en cours, satisfait de voguer librement sur internet quand une question le taraude. Il a récemment répertorié son œuvre qui compte à présent 196 numéros d'opus. Il a donné des dizaines de conférences sur les musiques d'aujourd'hui et fait partie depuis 1997 de l'Académie Royale des Sciences, Lettres et Beaux-Arts de Belgique, où Musiques Nouvelles donne un concert en son honneur le 5 mai 2011. Sa carrière dans l'enseignement, d'où il est retraité depuis 1995, l'a conduit à la direction de l'Académie de musique de Woluwe-Saint-Lambert pendant 32 ans où il fut également professeur d'harmonie et d'histoire de la musique. Il enseigna la composition aux Conservatoires Royaux de Mons et de Bruxelles ainsi que l'analyse musicale à la Chapelle Reine Elisabeth. Expérimentateur, Paul-Baudouin Michel demeure à 80 ans, un chercheur-créateur.
Terza Rima s'inspire de la phraséologie de la Divine comédie: les rimes embrassées ABA, BDB, CDC… Toutefois, cette pièce ne se réfère pas au texte de Dante ni à son sens. La phraséologie n'est pas classique. Les instruments à sons non entretenus (médiums et aigus) suscitent une certaine couleur. Les motifs et les thèmes reviennent avec quelques variantes. Le nombre d'harmonies est limité. J'y fais intervenir une sanza comme élément théâtral. J'ai été très jeune attiré par le théâtre et l'opéra; j'ai d'ailleurs écrit quatre opéras, dont Jeanne La Folle, grande fresque historico-politique…
[Extrait d'un entretien avec
Paul-Baudouin Michel, paru dans la
Revue#5 de Musiques Nouvelles et dans son intégralité
ICI - propos recueillis par Isabelle Françaix]
Mouvement de Denis Pousseur
L'œuvre musical de Denis Pousseur rejette les définitions univoques et arrache les lambeaux d'une étiquette «musique contemporaine» de plus en plus vague et difficile à ajuster sur les productions des compositeurs de notre époque. «Autodidacte indiscipliné» selon ses propres mots, né dans une famille hautement créative et féconde, fils d'un père prospectif et initiateur qui se réjouit du talent rebelle et audacieux de son fils, Denis Pousseur, à l'écart de tout académisme, interroge le passé et explore le futur… Il dévoue une grande partie de son temps au programme Sequenza d'aide à la composition, enseigne et conçoit des projets multidisciplinaires ouverts à la technologie de notre époque, même si la capacité des infrastructures culturelles est encore peu propice à les accueillir. Curieux et lucide, il reste insoumis et disponible au futur…
La pièce destinée à Une Belgique multisonore sera une sorte de souvenir de l'une de mes toutes premières pièces: Le Silence du Futur (1992/93). Comme dans cette œuvre, il s'agit d'un trio hétérogène (ici clarinette, violoncelle et percussions; pour clarinette, violon et piano dans Le Silence du Futur) découpé en trois parties dont chacune met en avant l'un des trois «personnages» du trio. Le format est évidemment plus modeste: Le Silence du Futur comportait neuf mouvements et ce trio n'en comportera que trois. Je cherche à marquer cette nouvelle période par le choix de mes titres, généralement plus simples. Ici la pièce s'appellera simplement Mouvement, ce qui est à la fois une référence musicale (on aurait pu dire «trois mouvements pour trio») et une marque plus générale de mon regard sur la société. En ce sens ce titre est une réponse optimiste (ou au moins dynamique) au Silence du Futur.
[Extrait d'un entretien avec
Denis Pousseur, paru dans la
Revue#5 de Musiques Nouvelles et dans son intégralité
ICI - propos recueillis par Isabelle Françaix]
Animation
Le bouquiniste Abélard présentera une collection de livres sur et autour de la Belgique ainsi qu'une sélection de livres "roses", dans la tonalité pinky d'Ars Musica !
Coproduction
Le Manège.mons/Musiques Nouvelles - Ars Musica
Représentations passées
15/03/2011
Théâtre le Manège - 7000 Mons
Photos : Isabelle Françaix, Collection Denis Bosse, Collection Denis Pousseur, Droits réservés.
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