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Babel Live - Musiques Nouvelles et le Botanique célèbrent en concert le premier anniversaire de l'émission radio

"Autour de Babel", une des nouvelles émissions de Musiq'3, est la rencontre de toutes les musiques (traditionnelle, jazz, classique, contemporaine, populaire...) dans un esprit de liberté et sans paroles. Ensemble Musiques Nouvelles, Pascal Comelade, An Pierlé, Dhruba Ghosh, Franz Treichler (Young Gods), Boyan Vodenitcharov, Eric Truffaz, Jean-Paul Dessy
Babel Live : Music unlimited, Cirque Royal de Bruxelles, 25 janvier 2008, 20h00. Erik Truffaz, Pascal Comelade, Franz Treichler électronique (The Young Gods), Dhruba Ghosh, Elise Gäbele, An Pierlé, Koen Guisen, Boyan Vodenitcharov, L'Ensemble Musiques Nouvelles (Violons : David Nunez, Antoine Maisonhaute, Eric Robberecht, Claire Lechien, Nicolas Marciano - Altos : Dominica Eyckmans, Pierre Heneaux - Violoncelles : Jean-Pol Zanutel, Sigrid Vandenbogaerde - Contrebasse : François Haag), direction et violoncelle : Jean-Paul Dessy.
- Voir les photos des répétitions du concert sur le site de Ramifications : ici -
 
Babel live est la rencontre de musiques et de musiciens qui ne se seraient d’ordinaire jamais retrouvés réunis dans un même concert.
Ces musiciens venus de territoires musicaux très variés, ensemble au centre du Cirque Royal, créent des rapprochements inédits et se passent le témoin fascinant d’émotions puissantes. Ils témoignent de l’unité fondamentale de toutes les musiques.
Babel live, c’est, en direct radio et au Cirque Royal, la version concert de l’émission culte de Musiq'3 : Autour de Babel.
L'émission fêtera son premier anniversaire en janvier 2008. Pour l'occasion, Musiq'3 s'associe à deux coproducteurs, le Botanique (Paul Henri Wauters) et l'Ensemble Musiques Nouvelles (Jean-Paul Dessy) pour créer un évènement de taille: Un "Autour de Babel LIVE" pour 2 heures de musique en continu.
Les musiques les plus diverses (classique, pop, électro, minimale, sacrée, contemporaine, ethnique, ...) s’y enchaînent selon d'inattendues affinités en un flux immergeant et continu invitant à la contemplation au cœur de l’écoute.
Coproduction Musiques Nouvelles / le manège.mons / Musiq'3
 
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Compte-rendu du concert :
Sur les décombres du sens

Le vendredi 12 janvier 2007 à 22h00, sur l'autoroute, Jean-Paul Dessy écoute la première édition d'Autour de Babel, diffusée sur Musiq3. Deux de ses pièces y sont programmées (Inclination et L'Ombre du son, pour violoncelle solo et son double) mêlées à quelques Mozart, Bach, Tchaïkovski, Broché, Uly ou Coy en accord avec la vivacité éclectique de l'émission : « la rencontre de toutes les musiques dans un esprit de liberté (…) avec imagination et naturel, sans annonce ni désannonce. » Captivé par la dynamique de cette diversité musicale, Jean-Paul Dessy lance le concept d'un concert en direct au Cirque Royal de Bruxelles : au centre du public, sur la scène ronde, seul le son voyagera entre des musiciens immobiles, venus pourtant de contrées aux antipodes les unes des autres. Grâce à l'enthousiasme complice de l'Ensemble Musiques Nouvelles, de Musiq3, du Botanique et du Cirque Royal, Autour de Babel fête donc en janvier 2008 et sur le vif son premier anniversaire : « Babel live ». Si Dieu multiplia les langues pour que les hommes ne se comprennent plus quand ils décidèrent d'atteindre le ciel en construisant la tour de Babel, « Babel Live » les réunit en deçà des mots, par la quête du son, ce premier avènement musical, vibration de la vie. Les sons construisent une langue audible et compréhensible par tous, une langue intérieure sur les décombres du sens : « music unlimited ».

En direct, vivant, illimité s'ébauche, pendant deux heures de spectacle continu et au cœur du public, un nouvel espace musical né du mystérieux langage des sons, débarrassé de l'arbitraire des mots et pourtant chargé d'émotions profondément liées à des traditions culturelles distinctes. Autour de l'Ensemble Musiques Nouvelles dirigé par le chef et compositeur Jean-Paul Dessy, se sont réunies des individualités d'horizons multiples tels que le pianiste bulgare Boyan Vodenitcharov, l'Indien Dhruba Ghosh, joueur de sarangî, le trompettiste français Erik Truffaz, l'intrumentiste d'origine espagnole Pascal Comelade ou encore la chanteuse belge An Pierlé… L'originalité des univers sonores mis en présence ouvre des perspectives étonnantes, creusant la mémoire de nos sensations bien davantage que notre connaissance musicologique. Quand les instruments d'enfants de Pascal Comelade (piano jouet, guitare en plastique ou mélodica), à l'humour tendrement farfelu, croisent l'imposant piano Steinway de Boyan Vodenitcharov, que la voix pop d'An Pierlé résonne sur la même scène que le chant classique de la soprano Elise Gäbele, lorsque Franz Treichler et Erik Truffaz introduisent le morceau électro Double Moon à la suite du Lachrymae de John Dowland, ou que Vodenitcharov improvise après l'Andante de Rachmaninov, que Dhruba Ghosh au sarangî et Jean-Paul Dessy au violoncelle se lancent dans un duo issu de la pièce The Present's Presents, de Dessy lui-même, on comprend qu'une certaine vision de la musique est désacralisée pour conduire à une communion spirituelle vivante, naturelle, immédiate et pleinement joyeuse.

Pourtant ce sont les larmes passionnées de John Dowland qui introduiront et concluront cette histoire musicale, comme ces « petites libations d'oubli sur le chagrin » dont parlait Hésiode (pour définir ce qu'on nomme « mousikè ») et que mentionne Pascal Quignard dans La Haine de la musique. La musique électronique de Franz Treichler et la trompette d'Erik Truffaz prolongent sur Double Moon cette impression d'indicible mélancolie, d'urgence à vivre dans notre monde difficilement déchiffrable. Dans cette continuité sonore inattendue coexistent deux époques lointaines ; la musique réunit dans l'instant une temporalité multiple, un temps flottant où cohabitent les sons organiques (le souffle du trompettiste) et mécaniques (la machine de Treichler), matière audible en mouvement qui façonne le présent. « Babel live » nous invite, par la rencontre mélodique et sonore, à l'errance au cœur de l'instant, dans un présent constitué de fragments de passé et d'intuitions spontanées. An Pierlé suspend la valse grisante du Quintette à clavier de Schnittke en invitant au regard lucide, à l'inéluctable confrontation qui révèle les blessures intimes : son interprétation de Look at me now tend à l'extrême la force des sentiments et la fragilité du quotidien. Pascal Comelade retrouve dans ses instruments désaccordés la gravité joyeuse des enfants, leur compréhension innée et merveilleuse de l'éphémère. Il désarticule la musique auprès de Gérard Meloux pour en saisir l'élan tragique et fantaisiste. Boyan Vodenitcharov improvise un contrepoint farouche sur l'Andante douloureux et enivrant de Rachmaninov, dans une même lutte vitale, frénétique et émotionnelle. Les musiciens, architectes de « Babel live », sont-ils en quête de ce « lieu acceptable » dont parlait l'essayiste Alexandre Laumonier soucieux de comprendre « le problème principal de l'errance » ? Dans ce spectacle où les sensations s'enchaînent, s'appellent, se répondent, découlent les unes des autres, interdépendantes, la trompette d'Erik Truffaz apparaît comme un fil rouge, témoin d'une déambulation dans un espace fragmentaire et mobile, sur les ruines de principes musicaux qui se recomposent et recréent de nouveaux paysages sonores. Après la révolte poétique de Boyan Vodenitcharov au clavier, le Père avant l'aube est une poignante rêverie qui incite à une nouvelle écoute.

Le voyage de « Babel Live » suit une logique de l'émotion, de la vibration. Battements, pulsations, grincements d'élytres, bruits et tremblements, Lucidogen de Franz Treichler laisse entendre un grondement intérieur qui exacerbe les sens. Le solo de sarangî de Dhruba Ghosh, sorte de vielle rustique comportant trente-cinq cordes, invite, dans la tradition spirituelle indienne, à la méditation. L'Ensemble Musiques Nouvelles accompagne sa démarche réconciliatrice de l'esprit et du son dans un mouvement de spirale très dynamisant. Derrière le son se révèle un autre son, d'énergie lumineuse et intérieure qui nous emmène vers The Present's Presents, de Jean-Paul Dessy. Il s'agit donc bien d'«histoires d'instant présent » comme le compositeur l'a écrit lui-même à propos de ce morceau, dont la construction cyclique évoque la palpitation du présent et, par la répétition, accumule et libère l'énergie avec force. Le retour du même, prépondérant, est toujours modifié. Le dialogue imprévu et les duos imprévisibles en stimulent l'approche. Celui de Dessy au violoncelle et Ghosh au sarangî, suivi de l'improvisation entre Truffaz et Ghosh accomplissent par le chant et la création musicale instantanée la quête des rencontres essentielles et signifiantes, par résonance. Comelade, Pierlé et Treichler nous ramènent sur terre : amour, sensualité, enfance, naïveté, fraîcheur, monde bruyant et dissonant, incontournable, vulnérable et touchant.

L'alternance du bruit, du chant et du silence dramatise les éclats de lumière dans la nuit de la scène et du récit secret qui sous-tend le spectacle. Caris Mere, nous dit Giya Kancheli, « après le vent » en géorgien, et nous somme proches de la fin du concert avec ce poème sonore aride et intériorisé où rôde la mort. L'alto profond de Dominique Eyckmans et la voix cristalline d'Elise Gäbele réveillent les extrêmes, le calme infini et l'angoisse véhémente. « Pareil au vent hurlant du nord, le présent dévaste les jardins de notre esprit et flétrit les fleurs à peine écloses. » (Hölderlin, dans Hypérion, extrait de Caris Mere) mais l'Ondine vive et changeante de Debussy, réveillée par Vodenitcharov, danse aussitôt sur les terres dévastées, comme une ode fervente à l'imagination. N'est-elle pas la sirène qui selon Ulysse (tel que le cite Pascal Quignard dans La Haine de la musique) : « remplit le cœur du désir d'écouter » ? Lorsque reviennent, dans le finale, les larmes de Dowland, elles sont métamorphosées par le partage de ces deux heures de création continue. Chaque musicien chante avec elles.

Sur la scène du Cirque Royal, un étrange mouvement perpétuel a révélé les multiples visages du son, dont les lignes imaginaires se rencontrent et s'abolissent comme pour évoquer un destin ouvert, une liberté riche de mémoire et de nouveauté.

Isabelle Françaix - janvier 2008 - Revue n°2 Musiques Nouvelles : ici !

 

Représentations passées

25/01/2008
Cirque Royal - 1000 Bruxelles