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Maria de Buenos Aires, opéra tango d'Astor Piazzolla

19-22 mars 2005 - Théâtre Royal de Mons - Festival Via
19 novembre 2005 - Théâtre Royal de Mons
Seul opéra composé par Astor Piazzolla et écrit par Horacio Ferrer, Maria de Buenos Aires reprend, tout en sensualité, l'épopée de Maria et du Tango. L'Ensemble Musiques Nouvelles et le metteur en scène Lorent Wanson, nous livrent uneversion éblouissante de cette oeuvre unique.

Distribution

Mise en scène - Lorent Wanson

Assistante à la mise en scène - Bérengère Deroux

Direction musicale - Jean-Paul Dessy

Chorégraphie - Vincent Novelle
 

Philippe Grand'Henry (le narrateur)

Delphine Gardin (soliste)

Roberto Cordova (soliste)

Marylin Lefor (danseuse)

Vincent Novelle (danseur)

Grégory Praet (Le Chœur)

Nathalie Meninger (Le chœur)

 
Musiques Nouvelles, direction Jean-Paul Dessy
Violons - David Nunez, Véronique Lierneux
Alto - Dominica Eyckmans
Violoncelle - Jean-Pol Zanutel
Contrebasse - François Haag
Piano - Philippe Libois
Guitare - Hughes Kolp
Percussions - Louison Renault et Jean-Michel Monart
Bandonéon - Manu Comté
Flûte - Berten D'Hollander

Scénographie et création des costumes - Anne Guilleret

Lumière - Guy Simard

Chargées de production - Bérengère Deroux, Julie Grawez
 
Coproduction

Une création du manège.mons/Centre Dramatique/Musiques Nouvelles et du Phénix/Scène Nationale de Valenciennes

Maria de Buenos Aires - Passion noire et "intemporaine" 

Quand un mystère grimpe sur ma voix, Je chante un tango que personne ne chanta, Je rêve un rêve que personne ne rêve Parce que demain c'est aujourd'hui Et qu'hier vient plus tard, che… Yo Soy María (Maria)

Comment traduire l'étrange néologisme espagnol «operita» par «petit opéra» sans gommer l'incandescence tragique de Maria de Buenos Aires ni la puissance fiévreuse d'une rencontre artistique exaltante? En 1968, le compositeur Astor Piazzolla et le poète Horacio Ferrer créent une œuvre insolente et ravageuse, un sublime oratorio païen dont la vierge déchue, «oubliée entre toutes les femmes», «présage entre toutes les femmes», chante et incarne le tango jusqu'à sa perdition dans les ruelles sombres du port de la capitale argentine des années 20, entre taudis et lupanars, ivrognes, putains, souteneurs et assassins. Cette œuvre universelle, perçue lors de sa création comme la double profanation du tango traditionnel et de l'esprit liturgique, incarne un état d'âme au-delà des époques, une intense sensation existentielle: l'exploration intime et partagée d'une faille, d'une angoisse, d'une douleur qui pourraient être chantées pour éveiller l'espérance…

 
Comme la saudade portugaise ou le blues noir-américain, le tango argentin est un miroir déformant au fond duquel la réalité se révèle, à tel point stylisée qu'elle distille un sens jusqu'alors inaudible. Dans ce conte musical noir et sensuel, négatif éblouissant de la Passion évangélique, Piazzolla et Ferrer extirpent le tango des codes et des carcans de la «danse pelvienne» où le folklore le cantonnait: ils l'arrachent au duel passionnel de l'homme viril et de la catin pour en épouser l'élan originel et désespéré: celui d'une «pensée triste qui se danse», comme l'écrivit Ernesto Sabato, âpre et pénétrante, en quête de sens sinon de rédemption. Née de la rue et des émois d'un peuple portuaire de marginaux et d'exilés, éclairée par l'écho des grandes œuvres sacrées de Bach, le romantisme ombrageux de Bartók ou l'impudence géniale de Stravinsky, elle résonne d'une voix mystique et effrontée, unique et inouïe, davantage écrite pour être écoutée que pour être mimée.
 
L'Ensemble Musiques Nouvelles aime naviguer sur les grains et les tempêtes de la «mer intérieure»loin des genres cloisonnés, des dogmes musicaux et des étiquettes étriquées.Contemporain certes, il évacue le lourd bagage avant-gardiste extrêmement réglementé de la musique dite «contemporaine»et se rallie impétueusement à la vision de «musique intemporaine» de Jean-Paul Dessy, son directeur artistique. Cet engagement vif et sensible rejoint pleinement l'esprit intemporel de Maria de Buenos Aires : «La musique intemporaine se reconnaît des fraternités multiples par-delà les époques et les genres. Le folklore imaginaire d'aujourd'hui a la taille de l'univers […] De tout temps, le substrat populaire fut le soubassement des musiques les plus élaborées. La musique intemporaine peut trouver la juste sublimation du genre mineur par le savant, loin de la morgue méprisante et incapable de discerner dans le vivier populaire les trésors qui y sont celés, loin aussi de la complaisance empressée de rallier la séduction à tout prix, y compris celui de la plus parfaite vulgarité.» (Jean-Paul Dessy, La musique intemporaine, in Revue Musiques Nouvelles#3, février 2009)
 
Astor Piazzolla dut se battre contre les préjugés musicaux de son époque pour oser puiser dans ses racines nourricières et inventer le tango nuevo! Son père très tôt lui avait offert un bandonéon; il créa de stimulants ensembles de tango, dynamiques et novateurs, brûlant toujours de s'affranchir des rythmes populaires. Il étudia fougueusement la composition en Argentine auprès d'Alberto Ginastera, puis la direction d'orchestre en Europe avec Hermann Scherchen; c'est Nadia Boulanger, dont il suivit les cours à Paris, qui l'exhorta à renouer avec les traditions musicales argentines pour y creuser sa voie intime: le tango. «Le tango est triste, dramatique, mais pas pessimiste. C'est le vieux tango et ses paroles absurdes qui l'étaient.» (Astor Piazzolla, 1989, dans une interview donnée au Chili) À New-York, entre 1958 et 1960, sa rencontre avec le jazz insuffle à sa musique ce swing essentiel et animal qui met à nu l'émotion ardente et viscérale de ses œuvres.
 
Avec Maria de Buenos-Aires, son unique «opéra», Astor Piazzolla sublime l'esprit du tango et lui redonne la parole. El Duende, Maria, El Bandoneon suscitent une collision illuminée: le texte rauque et frémissant d'Horacio Ferrer, d'une vitalité suggestive et farouche, riche de néologismes évocateurs aux assonances musicales, palpitant et puissamment symbolique, percute l'élan ensorceleur de la musique d'Astor Piazzolla, son déhanché ombrageux et sauvage que titillent le jazz et la milonga, sa verve populaire audacieusement structurée par l'intelligence raffinée de la musique savante. La forme «opéra» elle-même se dévergonde, saccadée en 16 tableaux sur deux actes, brefs, intenses, passionnés qui racontent une légende des bas-fonds: celle de Maria, jeune ouvrière d'une usine de textiles à Buenos-Aires, devenue chanteuse de tango jusqu'à sa mort précoce dans une maison close. Enterrée en 1910 sous le béton de la métropole, elle est rappelée à la vie un demi-siècle plus tard par El Duende, démon éperdument amoureux du rythme qu'elle incarne, évangéliste noir de sa déchéance, et entraînée par El Bandoneon dans la spirale langoureuse et fauve du tango, jusqu'à sa renaissance éternelle et lumineuse.
 
Ce mélange impudent de sacré et de profane, la poésie surréelle et l'audace musicale de Maria de Buenos Aires, se prêtent à l'envi à l'énergie de musiciens talentueux auxquels elle sait ménager des plaisirs d'improvisateurs, des droits à quelques arrangements actuels sans y perdre ni sa chair ni son âme. Maria de Buenos-Aires, indémodable et fascinante, se nourrit du souffle de ceux qui l'approchent, de leurs rêves et de leurs tensions créatives.
 
Les voix émouvantes, troublantes et chaudes de l'Argentin Gustavo Beytelmann, la Bruxelloise Delphine Gardin et du Chilien Roberto Cordova, les cordes exaltées du violoniste vénézuélien David Nunez, le bandonéon déchirant du Finlandais Ville Hitula et la fougue brûlante de l'Ensemble Musiques Nouvelles en témoignent à leur tour.
 

Isabelle Françaix

Ce qu'en a dit la presse

Le Soir - 23 mars 2005 - Catherine Makereel
Via, une métamorphose d'avance
On sort du XXIe siècle (Métamorphoses de Valérie Cordy) tout étourdi pour refaire surface quelques minutes plus tard dans un XXe siècle non moins sombre avec l'opéra de l'Argentin Astor Piazzolla. Maria de Buenos Aires et son livret écrit à l'encre du tango par le poète Horacio Ferrer, évoquent le destin tragique d'une danseuse portée vers le suicide par une vie de misère. Prostituée et vierge à la fois, son ombre accouchera d'une autre Maria, symbole d'une culture immortelle. Fondu dans un coin d'estaminet des bas-fonds, le génial Ensemble Musiques Nouvelles fend les cordes de ses violons pour trancher l'air à coup de milonga et de contrayumba et donner la réplique au non moins formidissime chanteur Roberto Cordova. A ses côtés, Delphine Gardin prête sa voix âpre et sulfureuse à l'éperdu besoin d'amour de Maria, tandis que le fiévreux Philippe Grand'Henry, en poète mausit, évoque son souvenir.
 
Malgré plusieurs artifices inutiles, la mise en scène de Lorent Wanson apporte à l'oeuvre quelques fulgurances. Que d'émotion quand Maria titube au bord de la scène comme au bord d'un précipice mortel ou lorsque son fantôme est convoqué par sa panoplie désarticulée de danseuse ! On aurait pourtant souhaité moins d'égarements dans la mise en scène et plus d'égards pour les rythmes envoûtants d'un tango au coeur de l'oeuvre.
La Libre Belgique - 21 mars 2005 - Philippe Tirard
Noire passion de Maria de Buenos Aires
L'opéra tango d'Astor Piazzolla et Horacio Ferrer revit sous la baguette de Jean-Paul Dessy.
Non, la musique charnelle, violente et mélancolique d'Astor Piazzolla n'a nullement vieilli. Et Maria de Buenos Aires, son unique "operita"comme il l'appelait, pas davantage. Opéra, opérette, opéra de chambre, oratorio scénique, "comédie" musicale ou théâtre musical, peu importe l'étiquette. L'oeuvre créée en 1968 à la Sala Planeta dans la capitale argentine brille de tous ses feux sous la baguette de Jean-Paul Dessy, dans cette nouvelle production présentée dans le cadre du Festival Via 2005.
(...)
Il faut dire que la Maria de Delphine Gardin a de la flamme, du mystère et des fêlures à revendre : une sorte de Lulu latino-américaine, incarnation féminine du fatum. Sa voix recèle bel et bien la blessure des "trois clous rouillés" décrite par le texte ("Elle est née l'injure à la gorge"). Son expressivité physique n'est pas en reste ; on la dirait née avec des escarpins de danseuse de tango aux pieds...
 
L'autre voix du spectacle, c'est Roberto Cordova qui a su trouver les accents vrais et déchirants mais jamais larmoyants du chanteur de rue. Une rage sourde et une mélancolie profonde comme la mer émanent de ses pénétrants vibratos ; on n'oubliera pas de sitôt sa Milonga pour la petite Maria ni son Tangus Dei.
 
Les moments choraux et les mouvements d'ensemble ponctuent avec justesse les solos au gré desquels ne cesse de croître, jusqu'à l'accouchement de Maria, perpétuant le cycle des éternels retours de la beauté et du malheur. Et l'on ne saurait assez louer les onze musiciens de Musiques Nouvelles qui soutiennent de bout en bout la vérité de cette musique poignante et intransigeante.
 
De là-haut, où il doit converser avec Carlos Gardel et Jorge Luis Borges, Piazzolla peut être content de lui et de nos artistes...
La Province - 7 avril 2005 - F.L.
Deux créations et une belle audace
Laurent Wanson aime les défis ; il s'est surpassé en prenant à bras-le-corps l'opéra tango d'Astor Piazzolla. Il devait savoir qu'il n'avait pas le droit à l'erreur et un public très nombreux l'a attendu à chaque spectacle au point qu'une soirée supplémentaire a été nécessaire. Quatre salles complètes à Mons, c'est une performance. Evidemment, en s'alliant à l'ensemble Musiques Nouvelles, on savait déjà la partition musicale entre de bonnes mains.